dimanche 2 octobre 2011

Principes généraux de yield management, le cas de la SNCF

Le yield management (ou « gestion fine » dans le jargon SNCF) c'est quoi ? L'idée générale est d'extraire le plus d'argent possible étant donné qu'on dispose d'une ressource limitée et périssable. Le yield management est donc particulièrement adapté aux cas des transports (une place vide est une place perdue dès que l'avion décolle) ou des prestations hôtelières. La discussion qui suit part du cas du rail façon SNCF, mais les concepts généraux s'adaptent facilement au cas de l'aérien et dans une moindre mesure à l'hôtellerie. Je tenterai de rester général, les détails techniques viendront une autre fois.

Au delà de la phrase volontairement provocatrice, le yield management recouvre en fait plusieurs concepts :

  1. Augmenter le nombre de clients, soit par report (on veut attirer la clientèle qui prend sa voiture au lieu de prendre l'avion), soit qui ne voyage pas.
  2. Parmis sa clientèle aquise, obtenir un report des trains pleins vers les trains vides afin de libérer des places pour la clientèle prête à payer plus.
  3. Être rentable.
Ces objectifs peuvent s'opposer. Par exemple si on ne garde que le premier objectif en vue on risque de voir les profits s'effondrer et d'avoir une mauvaise satisfaction client.

Je vais parler de deux outils utilisables pour réaliser ces objectifs. Notez qu'ils sont indépendants et peuvent être mis en œuvre séparément l'un de l'autre.

La segmentation de la clientèle

L'un des premiers outils à disposition pour réaliser ces objectifs est la segmentation de la clientèle, c'est à dire de réussir à proposer à la clientèle (ou enfermer celle-ci) des services/tarifs en fonction de ce que l'on estime être ses besoins. Deux exemples mis en place à la SNCF[0] :

  • Exemple n°1 : pour toucher les gens qui ne prennent pas trop le train ont été mis en place les Prem's[1], et plus récemment les Prem's Promotionnels qui font l'objet de campagnes de publicité et dont l'objectif est clairement d'attirer le chaland. Outre leur prix réduit, ils sont non échangeables et non remboursables pour éviter que ce segment ne soit envahi par la clientèle à priori plus aisée des "Loisir", ce qui rendrait le procédé inutile. Leur faible disponibilité s'explique de la même façon.
  • Exemple n°2 : la dissociation entre la gamme PRO et Loisir. Le nom indique plus ou moins quelle clientèle est visée. Dans la gamme PRO (qui comporte outre le Tarif Pro, les abonnements Fréquence, Forfait et les militaires) le billet est flexible et accompagné de différents services (échange facilité, réservation de taxi, repas à la place etc.). La gamme loisir regroupe le reste des tarifs, qui est elle-même segmentée en plusieurs gammes. Par exemple pour tenter d'éviter d'offrir des prix réduits aux voyageurs en déplacement professionnels qui se décident souvent vers le tard (et peu sensibles au prix) il a été créé le tarif loisir week-end où il faut inclure la nuit du samedi au dimanche; sans cette condition[2] il faut s'y prendre plus de 10 jours à l'avance. Le même principe se retrouve (multiplié par dix) dans les tarifs des compagnies aériennes classiques. Dans un autre registre les cartes de réduction commerciales (12/25, escapades, senior) fidélisent le client et segmentent par l'utilisation plus importante des transports.

Gestion dynamique des stocks

Le deuxième objectif est rempli en faisant varier le prix en fonction du remplissage du train, de manière à inciter la clientèle moins rentable à se reporter sur les trains moins remplis, libérant de la place pour les clients plus rentables (dits « à forte contribution »). En gros, moins le train est rempli, moins c'est cher et inversement. En fait c'est plus compliqué que ça, le remplissage est indépendant pour chaque catégorie de clients (donc segment de clientèle pour ceux qui suivent).

Pour chaque segmentation (et éventuellement sous-segmentation) de clientèle on définit un groupe de classes de contingences (ou classe de service)[3] dont on fait varier la quantité en fonction des besoins de sorte que les trains plus remplis soient moins attirants que les trains moins remplis. Un tarif donné n'est donc valable que dans certaines classes de service et vaut d'autant moins cher que la classe est restreinte. Par exemple tous les tarifs PRO se partagent la même classe de service unique (dans une classe de confort donnée : 1ère, 2nde, couchette etc..), alors que les tarifs à carte de réduction se partagent plusieurs classes de service communes. Au fur et à mesure du remplissage du train les places dans les classes restreintes (avec leur tarif faible) disparaîssent et il ne reste plus que des places dans les classes moins restreintes. Grosso-modo, si vous avez une attaque de clients avec carte de réduction sur un train, à priori les tarifs loisirs sans carte ne seront pas impactés. En réalité comme la gestion est faite en temps réel il y aura peut-être un algorithme (ou un humain) qui réduira aussi la disponibilité pour les voyageurs sans carte[4].

La SNCF se réserve aussi la possibilité d'augmenter en bloc (c'est la période du train) tous les tarifs pour les trains qui sont typiquement plus demandés, ou qui se remplissent aussi vite dans tous les segments.

Au final le nombre de paramètres d'ajustement est assez faible, le reste est déterminé de manière automatique par les tarifs. L'ajustement est fait d'après des modèles d’élasticité de la demande et/ou par le pifomètre de l'analyste. Quelques règles sont néanmoins pratiquement toujours observées. Par exemple une classe de service épuisée ou fermée n'est en principe pas ré-ouverte, ce qui assure que les tarifs ne font qu'augmenter. Ceci est en partie dû au fait que une grande partie des billets sont échangeables, ce qui fait qu'il y a un loophole évident pour les passagers ayant un billet plus cher que le prix du moment

Dans l'aérien cela fonctionne plus ou moins de la même manière : toutes sortes de tarifs automatiques sont définis (selon la durée de séjour, l'anticipation etc.). Leur prix dépend du prix maximum fixé et de la classe de contingence. Le levier habituel est donc de jouer sur les quantités de places dans les différentes classes de contingence, éventuellement sur le prix maximum, le tout sans toucher aux règles ou aux prix des différents tarifs. Dans un certain sens le travail est plus facile dans l'aérien, car une relation donnée est sans escales et possède une clientèle bien plus homogène que dans le rail.

[0] Ces deux exemples sont en réalité l'essentiel des segments de clientèle que les gens sont amenés à observer sur TGV. Mais pas chez iDTGV : chez eux, pas de segmentation de clientèle, tout le monde est à la même enseigne.

[1] Et dont l'introduction date d'avant la refonte tarifaire de 2007. Clairement le yield management n'est pas tant une nouveauté que ça.

[2] Ça n'est pas toujours vrai. On voit parfois, surtout en fin de semaine des trains où les paliers loisir réduit sont accessibles sans condition d'A/R. Mais quand on joue à ça il y a un risque de dé-segmenter la clientèle et d'avoir une fuite des tarifs PRO à la marge plus confortable vers les tarifs loisir par effet d'aubaine. Tout est donc dans l'art de ne pas abuser du procédé.

[3] En anglais "fare bucket".

[4] Et parfois cela peut avoir comme conséquence que le prix en première est moins cher que en seconde. Il peut rester du Prem's en première alors qu'il n'en reste plus en seconde. Autre exemple où cela se produit souvent est les trains internationaux quand on s'en sert pour faire un trajet national. La première ne suit pas exactement les mêmes règles pour les trajets trans-frontières et l’aberration de tarif ne se corrige pas toute seule car l'essentiel de la clientèle va à l'étranger. Il va de soi que dans l'aérien ce deuxième cas n'est pas possible car pas d'escales.

4 commentaires:

  1. Merci pour les excellentes explications que vous donnez sur ce blog, j'attends la suite avec impatience !

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  2. À propos des tarifs qui sont toujours censé augmenter, ça n'est pas vraiment respecté: quand un billet à tarif réduit est annulé (ou quand une réservation expire), il me semble que ça fait réapparaître une place à tarif réduit, même s'il n'y en avait plus.

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  3. Ni-> Si ça se produit dans un cas général (c'est à dire quand les classes supérieures ont déjà été pas mal entamées), alors on peut conclure que la SNCF n'applique pas la protection des classes par imbrication protectrice.

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  4. très bon doc merci la mif sisi fratey

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