mercredi 31 août 2011

Au commencement était le Tarif Normal

À la SNCF, bien que cela soit de moins en moins vrai, le tarif de base reste le « Tarif Normal ». C'est le tarif qui est appliqué quand vous n'avez aucune réduction particulière dans les trains à réservation facultative ou impossible (Corails, TER, mais pas TGV ni Téoz). Son prix est défini par une fonction publiquement documentée (rare !). Cette fonction est augmentée en principe le 1er juillet de chaque année.

La fonction est plus ou moins explicitée dans les tarifs voyageurs de la SNCF dont une nouvelle version est publiée approximativement deux fois par an à l'occasion des augmentations tarifaires publiques (normalement le premier lundi de janvier (mais ça dépend de l'avancée des négociations) et le 1er juillet). Elle prend la forme d'une fonction affine par morceaux (donc A+B× avec le kilométrage, A et B étant constants pour une plage de kilomètres).

Pour la période du 1er juillet 2011 au 30 juin 2012, la fonction pour la seconde classe vaut :

kmAB
0 à 160,69710,1742
17 à 320,22430,1940
33 à 641,85510,1432
65 à 1092,58830,1333
110 à 1493,66090,1277
150 à 1997,24450,1069
200 à 3006,95010,1083
301 à 49912,23280,0924
500 à 79916,52800,0825
800 à 99928,85460,0676

Il est précisé que le prix en première classe s'obtient en multipliant le prix de seconde classe par 1,5. Pour information les tarifs voyageurs donnent aussi la fonction en première classe, qui s'obtient normalement en multipliant toutes les constantes par 1,5[1].

Une fois le prix déterminé (2nde ou 1ère) il est tronqué au centime (ce qui n'est dit nulle part mais que l'on peut constater expérimentalement) puis arrondi au décime d'euro supérieur. Ensuite il y a un minimum de perception (valable pour tous les tarifs), qui vaut actuellement 1,20 EUR en 2nde et 1,80 EUR en première, mais qui n'est appliqué que quand le coût du transport n'est pas nul (par exemple en cas d'abonnement). Enfin à ce prix peut se rajouter la moribonde « surtaxe locale temporaire » qui dépend des gares de départ et d'arrivée, qui vaut un petit pourcentage du prix du trajet (et qui ne peut dépasser le valeur de ce pourcentage sur un trajet de 600km), et qui ne concerne plus que deux gares en 2011. Depuis quelques temps (ça a l'air postérieur à la réforme des tarifs de 2007), si il y a une réservation associée elle est gratuite (pourvu que le prix du transport ne soit pas nul).

Si on trace le prix en fonction du nombre de kilomètres, ça donne ceci :

On remarque d'abord que le prix est dégressif en fonction du nombre de kilomètres : il est facile de voir que le prix marginal (c'est à dire le prix qui est payé pour un kilomètre supplémentaire) représenté par la constante B diminue, mais même si on tient compte de la constante A le prix moyen au kilomètre diminue.

On remarque aussi que la fonction de prix s'inverse facilement. Si vous voulez le kilométrage qu'applique la SNCF sur une relation, trouvez un TER ou un Corail qui la réalise (si c'est possible) et utilisez le tarif normal pour retrouver la distance.

Mais il y a mieux : Si on trace le logarithme du prix (sans compter les arrondis) en fonction du logarithme de la distance, le résultat est trop beau pour être une coincidence :

On peut donc affirmer sans trop se mouiller que le tarif normal est en réalité la linéarisation par morceaux d'une loi de puissance de la forme P = K×ℓ γ, avec K = 0,4508 et γ = 0,7802. Cette forme est très satisfaisante puisqu'elle est sans échelle, comme beaucoup de processus faisant intervenir une quantité qui n'est pas négative. Doublez les kilomètres, vous aurez le même pourcentage de réduction quelque soit le kilomètrage de départ.

Évidemment un tarif de ce genre est éloigné des coûts réels de transports (surtout qu'il est valable au niveau national), mais il ne faut pas oublier qu'il est difficile de mettre un prix sur une chose dont le coût marginal pour un utilisateur supplémentaire (essence, électricité) est très faible par rapport au coûts fixes (salaires, entretien etc.). Je ne sais pas comment ni quand a été fait ce choix de fonction sans échelle pour l'établissement des prix, mais je trouve le résultat très satisfaisant pour l'esprit. Au final il ne faut pas oublier que l'usager ne paye en général qu'une partie du transport.

L'inflexibilité de ce tarif valable au niveau national fait qu'il est remis en question depuis longtemps. Les deux manières actuelles sont soit de mettre en place un kilométrage commercial[2] (c'est à dire que la distance tarifaire est différente de la distance réelle parcourue), soit de mettre en place un tarif de marché en évaluant l'elasticité de la demande sur une relation donnée (TGV avec parcours sur LGV notamment), donc à priori là pas de formule puisque toutes les liaisons sont traitées au cas par cas (on peut quand même dire des choses, j'en parlerai plus tard).

Deux remarques supplémentaires :
  • je pense que la linéarisation par morceaux telle qu'elle a été faite (et telle qu'appliquée réellement) contient une erreur de report : la ligne entre 150 à 199 km semble inversée avec la ligne 200 à 300 km (prix au km plus cher et constante plus faible pour un kilométrage plus important). Si l'on s'en tient au principe de dégressivité observé en général dans cette fonction (et ailleurs dans les autres tarifs de la SNCF) il est absurde d'avoir un coût marginal au kilomètre plus élevé pour un kilométrage plus important, même si l'incidence est faible (réordonner les lignes ne change quasiment pas le facteur de qualité de la régression). Pire, cette erreur perdure sans doute depuis longtemps puisqu'à chaque augmentation annuelle A et B sont multipliées par un facteur d'augmentation (ce qui ne change pas le facteur gamma) au lieu d'augmenter la constante K et de refaire une linéarisation.
  • le kilomètre 500 a un prix négatif (499km = 58,40 EUR; 500km = 57,80 EUR). Il est vraiment temps de refaire la linéarisation à partir de zéro !

[1] Si on regarde attentivement les tarifs voyageurs de juillet 2011, il y a UNE valeur de B en 1è qui n'est pas 1,5 fois la valeur de B en seconde, avec un écart de 1 pour 10 000. Je ne comprends pas très bien comment ils ont réussi leur coup. Peut-être est-ce une erreur d'arrondi ?

[2] C'est explicitement "autorisé" par les tarifs voyageurs (voir le point 1.2 du volume 2 des tarifs voyageurs). Un exemple amusant est le Train Jaune : pour ne pas sortir du système national ce train qui sert à la fois de promeneur-pour-touristes et de TER normal pour les habitants du coin les kilomètres sont multipliés par deux sur tout le trajet. Ainsi si l'on applique la formule, on voit que les prix sont augmentés en moyenne d'environ 70% (20,78). Ça n'est évidemment dit nulle part que le kilométrage est commercial sur cette ligne.