vendredi 13 juillet 2012

Deux approches différentes du transport ferroviaire

Une fois n'est pas coutume, je vais essayer de sortir du cadre habituel de ce blog pour parler un peu d'autre chose (en restant dans le ferroviaire je vous rassure). J'espère ne pas dire trop de bêtises.

C'est un fait bien connu, en Amérique du Nord les transports ferroviaires de voyageurs sont quasiment inexistants. Et quand la liaison existe elle se fait à une vitesse risible, avec des fréquences mauvaises et les retards sont fréquents.

Aux États-Unis, le mieux qui existe est le Acela Express, reliant Boston à Washington en passant par les grosses villes de la côte Est, à la vitesse moyenne époustouflante de 110 km/h, mettant 7 heures (en moyenne !) pour parcourir les 734 km du trajet, le tout à un prix à tomber par terre[1].

Je ne vais pas comparer ça à un Paris → Marseille, ce serait un peu de la triche (parce que très peu d'arrêts intermédiaires, de la LGV tout du long). Quoique, on pourrait avoir envie de comparer l'Acela avec ce qu'il y a de mieux en France.

Prenons plutôt un Paris → Toulouse (via Bordeaux), relation relativement comparable par sa longueur et moins en défaveur de l'Acela. Ce sont des TGV qui la réalisent mais le parcours à vraie grande vitesse est limité aux 230 kilomètres de la LGV Atlantique[2]. Le reste est fait sur ligne classique, où sur de bonnes parties le train arrive à rouler à 200 voire 220 km/h. La liaison fait 838 km de long et le trajet dure actuellement 5h38 (sachant qu'il y a au moins 22 minutes de provisions pour travaux[3]), ce qui fait donc une moyenne d'environ 150 km/h. Donc le Acela Express met 1h de plus pour parcourir 100 km de moins. Pas terrible.

Et pourtant, les conditions du Acela Express sont bien meilleures que pour les autres trains d'amérique du nord :

  • La ligne est entièrement électrifiée (sinon ça serait plutôt 60km/h de moyenne), à des tensions facilitant la grande vitesse (les records de vitesse des années 50 effectués sur la ligne de Bordeaux à Dax n'ont pas vraiment montré que le 1500V était compatible avec la grande vitesse :-).
  • Le matériel est relativement adapté (c'est une sorte d'hybride de TGV et de train classique).
  • Les trains sont pendulaires, ce qui leur permet de prendre des courbes plus serrées (notre TGV n'est pas pendulaire).

C'est quoi le problème alors ?

En fait, le problème aux États-Unis est que le système ferroviaire est plutôt conçu pour le transport de marchandises. Et du coup ça pose plein de problèmes pour la vitesse.

Pour commencer, quand on veut faire du transport de marchandises, plus on en met, mieux c'est. Les trains de marchandises en Amérique du Nord sont donc extrêmement longs, jusqu'à plusieurs kilomètres. En France, il me semble que la limite est de 750 mètres (et quand on fait un train de 850 m on est tellement fiers qu'on appelle la presse). Cela entraîne que les cantons font aussi cette longueur, de même que les évitements sur les lignes à voie unique (qui sont nettement plus fréquentes là-bas : qui s'amuserait à doubler complètement la voie de plus de 4000 km entre Toronto et Vancouver pour un ou deux trains maximum par heure ?). Et puis quand on ne peut pas faire des trains plus longs on met deux containers par wagon, ce qui n'est possible que quand la ligne n'est pas électrifiée (ou tout du moins quand la caténaire a été posée spécialement).

La longueur et la hauteur des trains de marchandises entraine leur lenteur (au pif je dirais que la vitesse limite est dans les 60 km/h). Et ce d'autant plus que l'immense majorité des locomotives est au diesel, pas caractérisé par sa nervosité. Du coup, quand bien même l'infrastructure serait prête pour la vitesse (ce dont je doute, j'imagine par exemple que les trains de marchandises abîment la géométrie des voies, rendant difficile la grande vitesse), les trains de voyageurs sont coincés derrière les lents trains de fret. Par ailleurs comme un petit train de deux voitures (comme j'en ai pris au Canada) prend autant de "place" qu'un train de fret de plusieurs kilomètres, il va avoir tendance à devoir payer le même péage qu'un grand train, ce qui se traduit par des billets de train chers (et si les péages sont plus faibles cela entraîne certainement que les trains de voyageurs sont considérés non prioritaires par le gestionnaire des voies car moins rentables). Et si en plus la voie est unique c'est la recette assurée pour les retards. Tout cela rend le train peu alléchant pour le voyageur : il paye cher, ça ne va pas vite et les retards sont fréquents. C'est un cercle vicieux.

Et pour couronner le tout, quand il est question de faire une potentielle ligne à grande vitesse (qui a comme bénéfice de séparer trafic lent de trafic rapide, donc d'éviter pas mal des problèmes cités ci-dessus), les investisseurs veulent souvent que la ligne soit compatible pour les trains de marchandises la nuit (ce qui en plus rend pénible les travaux d'entretien de nuit). Il faut donc renforcer les rails pour supporter les poids plus élevés des trains de fret, mais aussi faire des courbes encore plus larges et des pentes minuscules (le TGV étant puissant, on se permet de faire des pentes plus importantes que normalement). Déjà qu'une LGV c'est très cher (environ 10 000 EUR le mètre), avec ces contraintes ça devient carrément prohibitif. Et du coup on ne construit rien[4]. Les passagers n'auront qu'à prendre l'avion (je caricature un peu quand même).

Inversement, un système ferroviaire favorisant les trains légers et rapides ne sera pas terrible pour le fret. Dans un tel système les trains de fret sont limités en longueur et en tonnage, ce qui occasionne des coûts de transport plus élevés. Et du coup les inflexibilités du transport par train ne sont pas vraiment contrebalancés par le prix qui devient relativement élevé.

Quel bilan ?

Pour caricaturer, dans un système ferroviaire à l'Américaine, les passagers prennent l'avion et le fret prend le train. Dans un système ferroviaire à l'européenne, les passagers prennent le train et le fret voyage par camions. Il n'est pas clair du tout quel système a le meilleur bilan carbone (ceci étant l'avion sur les « petites » distances c'est cher, et les passagers préfèrent le train). Je pencherais pour le système qui élimine le plus les transports individuels/à petite échelle. Malheureusement en Amérique du Nord la voiture est encore reine et de toutes façons les trains sont au diesel.

Dans tous les cas séparer les trains rapides style TGV (en les mettant sur les lignes dédiées que sont les LGV) des trains lents style trains régionaux (lents parce que beaucoup d'arrêts) et fret (lents parce que lourds) va dans le bon sens.

Digression : LGV Bordeaux-Toulouse

Actuellement il y a un débat entre d'un côté les promoteurs d'une ligne à grande vitesse entre Bordeaux et Toulouse et de l'autre ceux qui prônent l'amélioration des lignes classiques au bénéfice des trains régionaux (j'imagine qu'il est question par exemple de travaux de rectification des courbes). Personellement je préfèrerais voir la ligne à grande vitesse construite parce qu'elle défavorisera l'avion en mettant Toulouse à trois heures et quelques de Paris et à une seule heure de Bordeaux, tout en laissant des sillons libres pour les transports locaux sur la ligne classique. De toutes façons une des grosses pénalités sur les trains régionaux est la multiplication des arrêts et pas la vitesse limite. À mon grand regret les opposants sont nettement plus virulents quand il est question de construire une LGV que quand il est question de construire une autoroute alors que les impacts environnementaux sont au mieux comparables; mais je digresse.

[1] Je vois pour demain, le 13 juillet, un Boston → Washington DC partant à 07h15 et arrivant à 13h45 (donc 6h30 de trajet, le plus court qui soit) vendu sur amtrak.com pour la modique somme de 190 USD soit 156 EUR (et si ça se trouve il faut rajouter les taxes). Plus tard, le train partant à 11h15 et arrivant à 17h45 est au tarif étourdissant de 271 USD soit 222 EUR. Pour comparaison le Paris → Toulouse de demain partant à 07h26 et arrivant à 13h04 (donc 5h38 de trajet) est à 101 EUR TTC en 2nde (plein tarif qui plus est). Certes je compare des choses un peu incomparables (pour des raisons de clientèle visée) et il faudrait plutôt prendre le prix de première classe du Paris → Toulouse, soit 131 EUR. Qui a dit que le TGV c'était cher ?

[2] Et encore. Si on ne compte que strictement les sections à 300 km/h cela exclue les ~20 premiers kilomètres jusque la sortie du tunnel de Villejust (il me semble que la TVM ne démarre que à partir de là, avant c'est sous KVB) ainsi que tout le contournement de Tours, de la traversée de la Loire à la bifucation de Monts. Cette dernière section est comptée comme LGV par RFF mais elle est électrifiée à 1500V (avec des caténaires inhabituels pour cette tension), sous KVB, ouverte au trafic de marchandises et limitée à 220km/h pour les TGV. Au final la longueur de la LGV fait plutôt 200 km.

[3] Ces travaux pourraient faire l'objet d'une entrée entière. Pour faire bref, il y a un renouvellement voie ballast entre Angoulême et Bordeaux ainsi que des travaux de doublement des voies entre l'ancienne gare de la Benauge et la bifurcation de Cenon (suppression du "Bouchon Ferroviaire" au nord de la Gare St Jean en préparation à l'arrivée prochaine de la LGV Sud Europe Atlantique). En conséquence la vitesse est limitée sur les sections où le ballast n'est pas bien stabilisé et/ou les rails pas encore soudés.

[4] Je ne sais pas ce qu'il en est pour la ligne à grande vitesse californienne dont le projet vient d'être accepté.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire